Aux sources de l'Internet

Un curieux article retrouvé dans les archives de la radio "Ici & Maintenant!" :

une page d'histoire sur la naissance de l'Internet en France.

Celà pourra paraître étonnant à certains esprits chagrins, mais ce papier de Daniel Garcia nous situe bien parmi la soixantaine de pionniers réunis autour de Melle Annie Bloch, qui ont contribué dès 1982 à la mise en place du Web tel que nous le pratiquons aujourd'hui.
A cette époque, le "Minitel à la française" était encore dans les cartons.

Didier de Plaige

ASSOCIATIONS

Le Monde - dimanche 23 mai 1983 - par Daniel GARCIA

Un outil de "télématique conviale"

Thélème veut offrir aux associations le moyen d'alléger les contraintes de la distance et du temps.

"Cy n'entrez pas, hypocrites, bigotz, vieux matagots, marmiteux boursouflez...". Celui qui pousse la porte de Thélème est prévenu. L'ordinateur l'imprime noir sur blanc sitôt que vous prononcez le code d'accès. Thélème, version 1983, c'est le premier réseau de "télématique conviviale". C'est aussi la première réalisation de l'association Télématique Pour les Gens (T.P.G.) dont l'objectif est de "promouvoir une télématique de liberté au service de la communication entre les hommes" (1)

Le principe qui sous-tend le projet Thélème c'est la téléconférence assistée par ordinateur. La T.A.0. nous vient d'outre-atlantique, où elle a été expérimentée dès 1971 à la Maison-Blanche pour répondre aux situations de crise. Quelque temps plus tard son inventeur, Murray Turoff fondait, avec le concours de la National Science Foundation, un réseau privé baptisé Electronic Information Exchange Service (E.I.E.S.), qui s'autofinance depuis mars 1980 grâce à ses 700 abonnés, chercheurs et universitaires pour la plupart.

En 1978, lors d'un congrès de cybernétique à Amsterdam, une française, Annie Bloch, apprend l'existence du réseau. Dès son retour, elle réunit un groupe d'amis et de relations susceptibles d'être intéressés par un tel réseau. A l'automne 1980, T.P.G. naissait officiellement, avec l'exclusivité du programme E.I.E.S. pour la France et, entre décembre 1982 et avril 1983, un logiciel "100 % français" a été conçu et expérimenté : dès maintenant le réseau est opérationnel, et les soixante et quelque membres de l'association (individus, responsables d'administrations et d'associations) déjà branchés seront rapidement rejoints, espère-t-on, par une centaine d'abonnés.

Pour entrer à Thélème, il suffit de posséder un micro ou un terminal d'ordinateur; à défaut, un minitel loué pour 70 F par mois à l'agence des télécommunications la plus proche fera parfaitement l'affaire. Une fois équipé T.P.G. vous donne votre mot de passe, et le petit manuel d'utilisation vous fera suivre une séance collective de formation un mercredi soir, mais il n'est nul besoin d'être féru en informatique pour profiter du réseau. L'ordinateur central auquel vous êtes relié par votre téléphone via Transpac se charge de tout le travail et vous propose les services de Thélème sur un plateau (2).

D'abord la messagerie. Chaque abonné peut envoyer un ou plusieurs messages à un ou à plusieurs abonnés de son choix. Sa teneur, précédée par un code, reste confidentielle entre l'émetteur et ses destinataires "beaucoup plus fluide que la poste, ce système permet d'envoyer un ou cent messages sans contraintes géographiques et n'exige pas, comme le téléphone, la présence simultanée de l'interlocuteur, puisque le courrier est stocké en attendant que le destinataire en prenne connaissance", dit Annie Bloch.

Les animateurs d'Ici & Maintenant!, une radio libre parisienne (sur 99.4 Mhz - à l'époque) très branchée sur les innovations technologiques, ont bien perçu cet avantage. "Nous sommes quinze disséminés dans Paris et dévorés par nos emplois du temps", explique Didier de Plaige, le fondateur de la station. "Thèlème est pour nous le plus sur et le plus rapide moyen de contact".

La conférence proprement dite, est organisée par un ou plusieurs membres ; elle est annoncée publiquement sur le réseau ou réservée (par un code) à un nombre limité d'abonnés. Elle procède par accumulation de textes sur le thème choisi, qu'il soit politique ("Gestion et socialisme", par exemple), technique, humoristique ou très anecdotique ("blablabla").
Chaque fois que l'abonné se branche, l'ordinateur l'informe du nombre d'articles ajoutés depuis sa dernière sortie dans les conférences où il a accès.

"La T.A.0. permet de préparer ou de poursuivre un colloque, de tenir un conseil d'administration permanent. Sans se déplacer, ce qui devrait intéresser les associations", estime Annie Bloch. Effectivement, au GREP (Groupe de recherche pour l'éducation permanente) (3), où l'on règle des derniers problèmes de comptabilité de matériel avant de se brancher sur Thélème, "la possibilité d'une télé-conférence constante sur le monde rural" a été l'argument décisif. "Nous avons l'assurance que très rapidement il y aura assez de chercheurs de notre secteur sur Thélème pour qu'on tente l'expérience" ajoute-t-on.

L'annuaire enfin, c'est l'espace réservé à chaque abonné pour se présenter; il peut décliner son identité professionnelle, ses croyances philosophiques et religieuses ou sa passion pour la planche à voile. Bref, "une banque de compétence auto-organisée qui permet de trouver rapidement qui est intéressé par tel ou tel thème."

En raison de sa facilité d'utilisation, du prix modeste de la cotisation au réseau, rien ne devrait s'opposer à un développement rapide du réseau, ni à l'apparition de concurrents, avec la multiplication des "micros". Didier de Plaige annonce pour sa part le lancement prochain par Ici & Maintenant! d'un réseau qui a déjà un nom : Village télématique expérimental. En Provence, les Ateliers méditerranéens expérimentaux en ont formé un aussi, qui réunit une douzaine d'associations (5).
L'Union Française des centres de vacances a mis au point un programme expérimental de messagerie et d'échanges d'informations dans le Nord à partir de terminaux Teletel.

Mais l'important dans la "téléconférence assistée par ordinateur", c'est moins le support technique que la communauté humaine qui l'utilise. Sans doute l'association T.P.G. a-t-elle été longue à démarrer parce qu'elle voulait faire utiliser un support alors presque inconnu. Aujourd'hui, la partie intéressante est bien le nouvel espace de communication - éclaté géographiquement et étalé dans le temps - qui va se dessiner. "Un système comme les PTT innerve le collectif, mais ne crée rien de collectif; nous, nous faisons les deux à la fois !". Thélème s'affirme comme "la première expérience de télématique venue de la base".

Montée elle-même en association loi de 1901, T.P.G. espère rallier nombre d'associations à son projet. Celui-ci fera l'objet d'une "table ronde" mercredi prochain 25 mai au cours du premier colloque national sur "Les associations et l'Informatique", organisé par l'Institut National d'Education Populaire (INEP) à Marly-le-Roi. Cet outil de travail intéresse déjà plusieurs associations, entre autres, outre le GREP déjà cité, le Groupe de recherches et d'échanges technologiques (6) ou le Centre méditerranéen d'études et de recherches sur l'environnement.

Daniel GARCIA

(1) Télématique pour les gens, Maison des entreprenants, 10 rue Falguière, 75015 Paris. Voir Le Monde Dimanche du 11 juillet 1982 "Françaises au bureau, Annie au réseau", de Daniel Schneider.
(2) L'Abonnement au mois à Thélème ne donne pas accès au réseau américain, dont l'ordinateur central est dans le New Jersey. L'ordinateur de Thélème géré par Télésystèmes est à Duc, dans la vallée de Chevreuse.
(3) Voir Le Monde Dimanche du 31 octobre 1982 : "Une tour de guet de la vie sociale".
(4) La cotisation à TPG est de 100F par an pour les personnes physiques, 300F pour les associations et 1.000F pour les entreprises ou les administrations. Le coût de connexion est de 230F de l'heure (40F après 19H), mais 20 minutes par jour suffisent pour lire et expédier vos courriers et participer à une ou deux conférences.
(5) Le Monde Dimanche du 9 janvier.
(6) Voir Le Monde Dimanche du 14 novembre 1982.

1982 : Un téléphone modèle "éléphant" et son modem Anderson-Jacobson 9.600 bauds! + Olivetti L1

Bonjour,

Je reprends contact avec RIM suite à la lecture du site web et de l'article "R.I.M. aux origines du Net en France".

J'avais animé une ou deux émissions dans la période des débuts, puis Didier de Plaige nous avait offert un créneau nocturne pour permettre la diffusion de logiciels pour les ordinateurs de type Sinclair ZX80, Thomson MO5, Oric, Sanyo, ou sharp 1350... les auditeurs pouvaient alors enregistrer ces programmes et les récupérer sur leurs machines.

De fait je pense que cela a été la première diffusion de logiciels libres (dit OpenSource) via l'utilisation d'un média non papier.

Malheureusement je ne me rappelle plus des dates exactes à laquelle nous avions fait ces expériences.. (Printemps 1981)

Je pense que cela permet aussi à RIM de revendiquer le titre de précurseur de l'OpenSource et du Logiciel Libre.

Laurent Penou - 15 juillet 2005